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Mondes de l'éducation

#WDR2018 à l’épreuve des faits n°8: En Gambie, le rôle positif des syndicats dans l’amélioration de la qualité de l’enseignement, par Marie Antoinette Corr

Publié 19 décembre 2017 Mis à jour 12 avril 2018
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Le Rapport sur le développement dans le monde 2018 reconnaît, bien que brièvement, que les médiocres conditions de travail des enseignants peuvent nuire à l’apprentissage (p.138). Il indique que le statut du métier d’enseignant a régressé au cours de ces dernières décennies, et qu’en conséquence, “les enseignants méritent davantage des systèmes qui les emploient” (p.138).

Il souligne que les enseignants sont mis à rude épreuve en tant que professionnels par de multiples facteurs tels que des classes uniques surpeuplées ; des charges de travail élevées ; de longues heures de travail, la nécessité d’effectuer des activités extrascolaires supplémentaires ; un manque d’infrastructure et d’équipement scolaires ; les longues distances à parcourir pour se rendre au travail et la nécessité d’exercer une profession supplémentaire afin de gagner suffisamment pour subvenir à leurs propres besoins.

Toutefois, de manière contradictoire, le rapport indique également que la préoccupation pour la sécurité d’emploi des enseignants n’est pas en adéquation avec l’accent mis sur l’apprentissage. Les enseignants et les professionnels de l’éducation sont décrits comme recherchant leur propre intérêt quand ils “luttent pour conserver un emploi stable et protéger leur revenu” (p.13). Les syndicats d’enseignants, en tant qu’organisations soutenant les enseignants sur ces points, sont critiqués, et le rapport suggère qu’ils ont globalement une influence négative sur l’apprentissage (p. 191).

En Gambie, le travail du syndicat national des enseignants montre pourquoi le RDM se trompe tant dans sa description des syndicats qu’en postulant que les conditions de travail et l’apprentissage sont des intérêts concurrents. Le syndicat des enseignants gambiens (GTU) soutient les enseignants en les aidant à relever certains des défis que leur posent les médiocres conditions de travail. Deux projets en particulier ont considérablement amélioré les conditions de travail des enseignants : la mise à disposition des enseignants de cyclomoteurs et le paiement du salaire des enseignants par le syndicat.

En premier lieu, le GTU a mis des cyclomoteurs à la disposition des enseignants au travers de prêts. En facilitant la mobilité des enseignants, ce projet a contribué à améliorer l’éducation. En permettant aux enseignants de se rendre à l’école facilement et en toute sécurité, le projet a amélioré leur ponctualité et diminué leur absentéisme. De nombreux autres avantages peuvent être discernés, en particulier dans les zones rurales. Le fait de disposer d’un moyen de transport fiable pour se rendre au travail et de l’utiliser pour acheter les produits de première nécessité provenant de marchés éloignés a pour effet que les enseignants sont davantage enclins à accepter des affectations dans des zones rurales. Les cyclomoteurs sont alors utilisés par ces enseignants comme ambulances durant les heures d’école pour transporter des élèves ou des collègues malades à l’hôpital, qui est parfois situé à plusieurs kilomètres. Ils facilitent également les déplacements des enseignants durant les périodes d’inscription scolaire quand ils se rendent dans les maisons pour sensibiliser les parents à la nécessité de l’éducation et pour contribuer à augmenter le nombre d’inscriptions.

Le second projet s’attaque à la difficulté qu’éprouve le gouvernement à payer les enseignants ruraux sans perdre de temps d’instruction. Afin d’éviter que les enseignants doivent se rendre dans des banques (parfois situées à plusieurs jours de distance), pour être payés, les salaires sont payés à la place par la société coopérative de crédit du syndicat des enseignants (la GTUCCU – une agence du GTU). Cela s’est traduit par de nombreux avantages pour la qualité de l’enseignement. L’amélioration de l’efficacité du processus de paiement permet d’identifier les enseignants fantômes et fait économiser de l’argent au gouvernement, qui peut alors utiliser les fonds ainsi épargnés pour recruter davantage d’enseignants. Le projet permet de réduire considérablement l’absentéisme, puisque les enseignants ne doivent plus quitter leur école pour se rendre dans des banques éloignées. Il garantit également que tous les enseignants sont payés à temps étant donné que le syndicat peut préfinancer les salaires lorsque le gouvernement a du retard dans le traitement de ceux-ci. La perception du GTU par le gouvernement a changé lorsqu’il a constaté que celui-ci l’aidait à atteindre ses objectifs ; il considère à présent le GTU comme un partenaire.

Un enseignant d’une école primaire a rendu hommage à la GTUCCU pour avoir contribué à l’amélioration de leur bien-être et de leurs conditions de travail de multiples manières. “Les enseignants sont bien mieux lotis à présent”, a-t-il déclaré. “La GTUCCU est intervenue dans de nombreux domaines de développement pour améliorer les moyens de subsistance des enseignants. Elle protège les enseignants en termes de sécurité d’emploi, de développement professionnel, de fourniture d’accès à des facilités de crédits telles que des prêts et de mise à disposition d’équipements tels que des cyclomoteurs, et elle envisage à présent de proposer des programmes de logement pour éviter aux enseignants de se retrouver sans logis après leur mise à la retraite”.

Dans les communautés difficiles d’accès, imaginez la vie d’un enfant moyen en présence d’un enseignant, qui est à présent confortablement logé dans un appartement alimenté en électricité par l’énergie solaire par rapport à un enseignant qui devait seulement se contenter d’un entrepôt dans la communauté comme son mode de logement le plus confortable. Réfléchissez à la vie d’un parent dans un village éloigné dont l’enseignant de son enfant peut utiliser un cyclomoteur au lieu d’une charrette tirée par un âne ou un cheval comme moyen de transport d’urgence. Le statut de l’enseignant moyen est à présent bien meilleur qu’il ne l’était et cela a une incidence positive sur la vie des étudiants et des parents.

Les choses dont les enseignants ont besoin pour accomplir leur travail aideront également les enfants à apprendre et à grandir, par exemple des classes plus petites, un programme solide, des ressources adéquates et la collaboration entre les enseignants. Mme Isatou Ndow, proviseure adjointe et directrice de l’école d’éducation au Gambia College avait raison en déclarant : “Les enseignants méritent une immense gratitude. Sans enseignants, nous errerions tous dans la jungle de l’ignorance et des préjugés, exclus de la richesse de la sagesse, exclus de la riche conversation des personnes éduquées et cultivées".

Plutôt que de chercher à comprendre comment la qualité des enseignants pourrait être améliorée par des incitants et des sanctions basés sur la performance (RDM, p. 22), nous devrions plutôt nous poser les questions suivantes : pourquoi les enseignants font-ils ce qu’ils font ? À quelles difficultés sont-ils confrontés ? Comment pourrions-nous réduire ces difficultés et les soutenir pour qu’ils dispensent un enseignement de qualité ? Cela nous permettrait de prendre en considération leur point de vue et encouragerait également les études et les stratégies qui respectent leur motivation à aider les enfants à apprendre, mais qui sont adaptées à leur situation pratique complexe.

« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à [email protected]. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.

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