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Mondes de l'éducation

Lutter contre le travail des enfants passe par un changement des mentalités, par Noumoutieba Diarra

Publié 11 juin 2018 Mis à jour 14 juin 2018
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Au Mali, le Syndicat national de l’Education et de la Culture (SNEC) contribue depuis 2014 au développement de zones libres de tout travail d’enfants dans les régions de Bougouni, Niono, Macina, Dioila et Bla. 840 enseignants ont été formés par le syndicat à la lutte contre le travail d’enfants. 42 d’entre eux sont devenus les points focaux de la lutte contre le travail des enfants au sein de leurs écoles et communautés. Noumoutieba Diarra, point focal de l’école du village d’Ouroun (région de Bougouni, dans le sud du Mali), témoigne de son vécu.

J’ai reçu plusieurs formations de la part du SNEC pour devenir point focal de son projet de lutte contre le travail des enfants à Ouroun. Ces formations nous apprennent ce qu’est le travail des enfants : on distingue le travail socialisant, par lequel l'enfant apprend les tâches de la vie quotidienne, et le travail des enfants, qui empêche l'enfant d'être scolarisé dans de bonnes conditions. C'est lors de ces ateliers que j’ai entendu parler pour la première fois des différentes conventions sur les droits de l'enfant, dont celles ratifiées par le Mali. On nous donne des conseils sur la manière d’intégrer la communauté : en tant qu’enseignant, nous devons éviter de montrer une certaine suprématie par rapport aux autres, il faut se comporter comme tous les membres de la communauté, participer à leurs différentes rencontres et cérémonies. C’est ainsi que l’on peut être accepté et les convaincre plus facilement du bien-fondé d’envoyer leurs enfants à l’école.

Lorsque le SNEC débute un projet de zone libre de tout travail d'enfants dans un village, une assemblée générale est organisée par le chef traditionnel. Il convoque toute la population pour communiquer sur l’importance de l’éducation. Chacun a le droit de s’exprimer mais à la fin de l’assemblée, le chef traditionnel affirme que désormais, le travail des enfants ne sera plus accepté dans le village. Ce type de décision, prise par des autorités locales très respectées par la population, est d’une grande aide pour convaincre chaque parent d’envoyer tous ses enfants à l’école. Un comité de veille, composé des notables du village, de représentants des employeurs et de l'école, est mis sur pied pour relayer ce message.

Au niveau de l'école, nous créons un club anti-travail d’enfants. Il est composé de 12 élèves (six filles et six garçons). Ils sont chargés de repérer où se trouvent les enfants qui abandonnent les cours et ceux qui n’ont jamais été scolarisés, d’essayer de les convaincre de venir à l’école. Dans certains cas, j’interviens auprès de ces enfants ou de leurs parents pour appuyer l’argumentation des membres du club, nous recevons aussi un soutien des membres du comité de veille.

En milieu rural, il est très important d’être en contact avec toutes les couches de la population si l’on veut un changement des mentalités. A Ouroun, nous avons voulu impliquer les mères d’élèves dans notre projet : en tant que femmes, elles sont dans une situation privilégiée pour approcher les autres mamans, celles qui ont des enfants déscolarisés. Leurs arguments ont aussi beaucoup de poids auprès des filles qui ont abandonné ou qui risquent d’abandonner l’école. J’ai donc suscité la création d’une Association de mères d’élèves (AME), composée de 12 femmes. Elles aident à repérer les enfants non scolarisés, à vaincre les réticences des enfants ou des familles. Après avoir constaté l’apport de l’AME d’Ouroun dans le projet, le SNEC a décidé de créer des associations similaires dans toutes les autres zones libres de toute travail d’enfant qu’il contribue à développer.

Le mariage précoce est une raison importante provoquant l’abandon scolaire. Il arrive souvent que l’on déscolarise une fille au profit du mariage, sans son consentement. L’organisme de la jeune fille n’est pas prêt, elle n’a pas non plus la maturité suffisante pour vivre dans un ménage, cela suscite de nombreux divorces. Nous essayons de prévenir ces situations dans le projet du SNEC, avec l’aide des AME. A l'aide d'exemples, de conseils concrets, il est possible de faire évoluer lentement les mentalités. J’ai connu le cas d’une élève très intelligente qui venait de réussir son examen pour passer de 6è en 7è année primaire lorsqu’on a voulu la contraindre d’abandonner l’école pour se marier. J’ai déposé une requête à la conseillère chargée de la scolarisation des filles au sein de l'autorité locale, elle m’a épaulé jusqu’à ce que le mariage soit annulé. La fille a pu poursuivre ses études.

Les débuts du projet n’ont pas été faciles à Ouroun. Beaucoup d'enfants travaillent sur les sites d’orpaillage, d'où ils ramènent de petites sommes à leurs parents. Les enseignants doivent passer beaucoup de temps à expliquer que ces sommes sont dérisoires par rapport à ce que les enfants gagneront en étant éduqués. Nous convoquons à l’école les parents des enfants déscolarisés pour les sensibiliser, nous nous déplaçons aussi à leur domicile ou sur les sites d’orpaillage. Nous devons parfois rencontrer les parents ou les enfants à deux ou trois reprises avant de les convaincre de l’importance de la scolarité, avec l’appui de l’AME et du comité de veille si cela s’avère nécessaire.

Le manque de prise de conscience par rapport à la valeur de l’éducation est l’une des principales causes du travail des enfants dans cette région, tout comme la pauvreté. Il arrive que des enfants ne viennent plus à l’école car ils n’ont pas de stylo ou de de cahier. Dans certains cas, c’est un prétexte pour sécher les cours, dans d’autres cas, c’est une pauvreté bien réelle. Grâce à de très petits fonds de l’école et à des activités génératrices de revenu développées par l’AME, nous pouvons offrir aux enfants nécessiteux le matériel didactique de base pour que ce ne soit plus une raison d’abandon scolaire.

J’ai pu ramener sur les bancs de l’école 44 enfants depuis 2014 (1). Lorsqu’un ex-enfant travailleur revient à l’école, nous essayons de faire en sorte qu’il soit accompagné par un membre du club anti-travail d’enfants de son voisinage, qu’ils fassent la route ensemble pour nous assurer qu’il ne se décourage pas. L’enseignant qui l’accueille dans sa classe va le mettre en confiance, il va éviter de l’accabler pour son abandon scolaire, il prépare les autres élèves à un bon accueil de l’ex-enfant travailleur.

Participer au développement d’un tel projet m’apporte beaucoup de joie et de satisfactions. Favoriser l’épanouissement, le développement des enfants en leur évitant d’être exploités par le travail est très encourageant pour un enseignant. Au début de ce projet, on trouvait des enfants de 8 ans sur les sites d’orpaillage, parfois dans des trous creusés profondément dans le sol. Il est devenu rare aujourd’hui de trouver des enfants sur ces sites. En 2017, l’un des sites d'orpaillage a été frappé par une épidémie de méningite… ça aurait été bien pire s’il y avait eu des enfants sur place.

Mon expérience d’ex-enfant travailleur devenu enseignant m’aide beaucoup pour convaincre les enfants du bien-fondé de l'éducation. J’ai dû interrompre ma scolarité en 9ème année parce que mes parents ne pouvaient plus payer mes fournitures scolaires. Beaucoup d’enfants ignorent comment s’en sortir, mais comme j’ai vécu la même situation, je peux leur redonner ce courage, leur montrer que quand on veut, on peut. Je leur rappelle sans cesse qu'ils doivent avoir plus d'ambition qu’une vie éphémère sur un site d’orpaillage, qui n’ouvre aucun avenir.

A côté de mon rôle de point focal, je suis aussi le représentant syndical du SNEC à Ouroun. Les enseignants de mon école sont affiliés à différents syndicats, mais ils se sont tous impliqués dans ce projet de lutte contre le travail des enfants. Nous avons oublié nos divergences syndicales pour avoir une vision commune sur l’éducation. Un syndicat d’enseignants est préoccupé par tous les problèmes rencontrés dans le domaine de l’éducation, il est donc obligé de se soulever lorsque des enfants travaillent au lieu d’être scolarisés. Ce projet a permis au SNEC d’imprégner la communauté, qui comprend maintenant ce qu'un syndicat peut apporter à toute la société.

La création des zones libres de tout travail d’enfants est un travail de fond. Les enseignants initient un changement de mentalité, mais nous n’y arrivons qu’avec l’aide de toute la communauté et de ses dirigeants.

Note : Plus d’informations sur le projet du SNEC visant la création de zones libres de travail d’enfant sont disponibles ici.

(1)  Au total, les projets du SNEC ont permis de scolariser ou rescolariser 900 enfants depuis 2014 dans l’ensemble des régions concernées.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.