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Mondes de l'éducation

#IWD2019 #Education Voices : « Une démarche soucieuse d’équité entre les genres fait partie intégrante des projets des syndicats de l’éducation sur le travail des enfants », par Nora Wintour

Publié 7 mars 2019 Mis à jour 12 mars 2019
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Dans le cadre d’un projet de recherche sur les pratiques les plus efficaces dans la mise en oeuvre par les syndicats de l’éducation d’activités de lutte contre le travail des enfants commandée par l’AOb et l’IE, j’ai récemment eu le privilège d’effectuer des missions sur le terrain en Ouganda, au Maroc, en Albanie et au Mali, autant de pays qui, à première vue, n'ont pas grand-chose en commun, ou du moins c'est ce que vous pourriez penser! Cependant, un aspect lie tous ces projets: l’importance, impressionnante et parfaitement intégrée, qu’ils accordent aux filles. L’objectif des projets des syndicats de l’éducation relatifs au travail des enfants, menés dans la majorité des cas en collaboration avec des ONG, est de sortir les enfants du travail pour qu’ils puissent suivre une scolarité. Ils sont mis en œuvre dans des zones urbaines défavorisées où vivent nombre de migrant·e·s ruraux·ales récemment arrivé·e·s, et dans des endroits reculés où la tradition et le patriarcat sont solidement enracinés; dans des endroits où il est par conséquent extrêmement difficile de retenir les jeunes adolescentes sur les bancs de l’école.

En Ouganda, le projet mené dans la région caféière du sous-comté d’Erussi (Nil occidental) implique le syndicat de l’éducation UNATU, un affilié de l’IE travaillant avec l’ONG locale CEFORD et l’entreprise Kyagalanyi, spécialisée dans le café équitable. Dans le cadre de ce projet, une formation d’expert·e·s sur le genre, les droits humains et l’inclusion a également été dispensée par l’ONG nationale « Egalité des chances ». Toutes les parties prenantes travaillent main dans la main pour empêcher les filles d’abandonner leur scolarité, dans une région où cette pratique est courante.

La stratégie à multiples facettes consiste notamment à assurer la présence au sein de chaque école d’enseignantes expérimentées, et à offrir les mêmes chances de formation à l’ensemble des enseignant·e·s, quel que soit leur genre. Les écoles se concentrent en outre sur la gestion des menstruations, étant donné qu’une large proportion des filles dans l’enseignement primaire sont des adolescentes. Pour les syndicats, il s’agit par exemple de défendre un programme de construction de toilettes réservées aux femmes, pas seulement des latrines, et de formation des enseignantes afin que leurs étudiant·e·s puissent se confectionner des serviettes hygiéniques réutilisables. Il est à souligner que ce programme comprend également des séances d’informations pour comprendre les menstruations, destinées aux filles comme aux garçons.

A l'heure actuelle, les dirigeant·e·s des communautés reconnaissent beaucoup plus largement la nécessité de s’opposer activement aux mariages précoces et aux grossesses à l’adolescence. [1] En effet, un directeur d’école m’a annoncé que son école avait récemment accepté de laisser une fille enceinte passer ses examens de fin d’études; un autre m’a indiqué que deux adolescentes enceintes avaient été autorisées à reprendre l’école après leur accouchement. Ces décisions représentent un véritable changement culturel, auquel ces deux directeurs étaient fiers d’avoir contribué. En approuvant ces décisions, ils savaient qu'ils pouvaient compter sur le soutien du Comité pour la lutte contre le travail des enfants du Conseil local, mis en place dans le cadre du projet. Le Président du Conseil est devenu un ardent défenseur de l’éducation des filles; et l’agent de police local, qui s’est engagé à enquêter sur les cas de « souillure » ou de viol de mineures [2], avait commencé à produire des rapports destinés au procureur général.

En Albanie, l’Alliance des syndicats de l’éducation, formée par les deux affiliés de l’IE, FSASH et SPASH, a travaillé dans certains des quartiers les plus défavorisés de la capitale, Tirana, et dans des villes plus isolées comptant une forte proportion de communautés roms et égyptiennes.Les enseignant·e·s y font part des difficultés rencontrées pour convaincre les familles de ces communautés de la valeur de l’éducation des filles.

« Ici, les filles roms et égyptiennes sont mariées à l’âge de 14 ans en vertu des lois coutumières, même si ce n’est pas légal. Elles abandonnent donc l’école à 13 ou 14 ans à cause de la mentalité de leur famille, et si elles ne se marient pas, elles sont tout de même considérées comme des adultes dont la place n’est plus sur les bancs de l’école. Nous nous sommes entretenus plusieurs fois avec les parents pour discuter avec eux. Ils ont également rencontré un travailleur social et un psychologue. Si l’enfant vivait encore chez eux et n’était pas mariée, nous obtenions parfois des résultats. Une fois, une grand-mère m’a dit qu’elle acceptait de laisser sa petite-fille revenir à l’école parce que j’étais venu si souvent demander à ce qu’elle y retourne. » Un enseignant de l'école « Naum Veqilharxhi » à Korça.

Au Maroc, l’affilié de l’IE SNE a mis en place des comités au sein des écoles afin d’assurer le suivi des enfants qui risquent d’abandonner leur scolarité. Ils se composent du directeur ou de la directrice de l’établissement et des enseignant·e·s membres du SNE. S’ils·elles considèrent qu’un enfant a de grandes chances de quitter l’école, ou s’ils·elles observent une absence prolongée de celui-ci, une réunion est organisée entre les enseignant·e·s de l’étudiant·e et le comité afin de décider des mesures à prendre.

« Une fois, une fille a cessé de venir à l’école. Ses deux enseignants et deux membres du comité directeur ont donc rendu visite à sa mère. La famille était vraiment très pauvre, et la mère n’avait pas d’argent pour acheter des livres scolaires à sa fille. Nous avons répondu que nous réfléchirions à la manière de résoudre ce problème. Nous lui avons acheté les livres et le matériel, mais un autre problème perdurait: la mère quittait la maison très tôt pour aller travailler et ne pouvait pas emmener sa fille à l’école. Nous voulions que l’enfant puisse se sentir en sécurité en se rendant à l’école. Nous avons par conséquent trouvé un voisin qui pouvait aider cette famille et emmener la fille à l’école en même temps que ses propres enfants. Une autre fille connaissait de grandes difficultés d'apprentissage et ne voulait plus aller à l'école parce qu’elle se sentait humiliée face aux autres élèves. C'est pourquoi nous avons décidé de lui donner des leçons supplémentaires. C’était très compliqué, mais nous avons réussi. On m’a même dit qu’elle était en dernière année de bac à présent. » Naima Dekhissi, membre du Comité directeur provincial du projet et coordinatrice régionale du cercle des femmes du SNE.

Au Mali, l’affilié de l’IE SNEC travaille au sein de huit établissements scolaires dans deux communes rurales isolées et proches des mines d’or artisanales de la région de Bougouni. Dans cette région, on attend généralement des filles qu’elles se marient dès l’âge de 14 ans et financent leur propre « trousseau », qui comprend les meubles et les ustensiles de cuisine. Ces attentes les obligent souvent à abandonner l'école et à travailler, soit dans les mines, soit en tant que domestiques, afin de rassembler les fonds nécessaires à leur mariage. En outre, nombre d’entre elles sont victimes de violences fondées sur le genre et de grossesses non désirées, qui sont source de stigmatisation sociale. [3]

Dans chaque village, le SNEC, en collaboration avec son partenaire, l’ONG ENDA, a mis en place des comités de suivi du travail des enfants présidés par les chefs de village coutumiers. Ensemble, ils ont également créé des Associations de mères d’élèves (AME). Le SNEC a organisé des discussions au sein des villages sur les risques qui touchent les garçons et les filles travaillant dans les mines ou comme domestiques, et sur la valeur de l’éducation. La mission des AME est d’encourager les filles à rester sur les bancs de l’école. Leur principale stratégie consiste à avoir des discussions de visu avec les parents et les filles elles-mêmes, avec le soutien du chef de village. Les enseignant·e·s jouent également un rôle clé. Ces initiatives semblent mener à des changements de comportement révolutionnaires en ce qui concerne l’importance accordée à l’éducation des filles et l’âge acceptable qu’elles doivent avoir pour se marier. [4]

« Dans ma classe, une fille est tombée enceinte et a cessé de venir à l’école. Je suis allée voir ses parents à Syentoula, qui m’ont expliqué que comme leur fille était enceinte sans être mariée, elle avait trop honte pour retourner à l’école. J’ai demandé à parler à leur fille, et lui ai dit qu’elle n’avait pas de raison d’avoir honte. Je lui ai raconté que lorsque j’étais enceinte, je continuais à enseigner à l’école, et lui ai conseillé d’y retourner. Je lui ai dit qu’une fois que le bébé sera né, ses parents pourraient s’en occuper et qu’elle pourrait continuer ses études. Elle est donc revenue à l’école. C’était en novembre 2017, et la fille avait 14 ans. » Zainabou Sangouré, Point focal sur le travail des enfants du SNEC, école Mafelini.

Les syndicats ont constaté que les projets visant à supprimer le travail des enfants avaient ouvert la porte au dialogue avec les autorités éducatives et les gouvernements locaux, et qu’ils avaient eu de nombreux effets positifs inattendus tels qu’une augmentation du nombre de leurs membres et un accroissement de la participation. Tous les projets entendent autant promouvoir une éducation inclusive de qualité que lutter contre le travail des enfants. Cependant, il ne fait aucun doute que l’une de leurs réussites majeures est d’avoir conduit les communautés à réévaluer la valeur de l’éducation des filles et à prendre des mesures pour combattre les mariages précoces et les grossesses à l’adolescence.

En 2018, le chef coutumier de Dossala, au Mali, a décidé de ramener personnellement sur les bancs de l’école un groupe d’adolescentes qui en étaient parties pour se faire employer comme domestiques dans la capitale. Comme me l’a déclaré une personne que j’ai interrogée: « Quoi de mieux. Vraiment, on ne pourrait espérer mieux ! »

Ce blog fait partie d’une série spéciale publiée à l’occasion de la célébration de la journée internationale des femmes 2019 et qui met en avant les questions de genre et d’éducation, en lien avec le thème et les sous-thèmes du 8èmecongrès mondial de l’Internationale de l’Education qui se tiendra du 19 au 26 juillet 2019 à Bangkok, en Thailande.

Lire le blog précédent de la série : « Tout commence par de bon·ne·s enseignant·e·s: le leadership des femmes dans l’éducation et les syndicats», par Johanna Jaara Åstrand.

[1] Selon l’Enquête démographique et de santé de l’Ouganda (2016), 3 adolescentes sur 10 âgées de 15 à 19 ans sont tombées enceintes. Toutefois, il est probable que cette proportion soit considérablement plus élevée dans le sous-comté d’Erussi.

[2] En Ouganda, la souillure est définie légalement comme un rapport sexuel avec une fille de moins de 18 ans. Je n’ai cependant pas déterminé l’interprétation qui en est faite dans le sous-comté d’Erussi.

[3] Selon l’OMS (2017), le Mali présente le second taux le plus élevé au monde de grossesses à l’adolescence, avec 175 naissances pour 100.000 adolescentes.

[4] Un nouveau Code de la famille a été adopté en 2011. Il fixe l’âge du mariage à 18 ans pour les garçons et à 16 ans pour les filles, bien qu’il autorise les mariages dès 15 ans dans les cas où les deux parents y ont consenti.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.